Correction de la Séance 6
Correction : séance 6
Parler de l'autre, de l'"étranger", pour porter un regard sur soi-même.
- Cherchez la définition et l'étymologie des termes suivants :
Sauvage, Barbare, Etranger, Indigène
Qu'ont-ils en commun ? Quel est l'intrus ?
- un sauvage : du latin silvaticus (silva = la forêt) : qui a un mode de vie primitif, qui fuit la société des hommes.
- un barbare : du greg barbaros (= étranger) : dans l’antiquité, toute personne étrangère à la civilisation grecque ou romaine. Par extension, d’une grande cruauté, d’un peuple d’envahisseurs.
- un étranger : du latin extraneus (qui sort de l’ordinaire) : personne qui appartient à une autre nation, qui n’est pas connu.
- un indigène : du latin indigena : qui habite dans le pays où il est né. synonyme d’autochtone.
L’intrus dans cette liste est bien sûr l’indigène, car il ne se définit pas par rapport à un autre peuple. Tout le monde est indigène quelque part.
- Lisez dans le manuel de français les textes de la page 500 et de la page 501 :
Jean de LERY, Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, 1578
Michel de MONTAIGNE, Les Essais, "Des cannibales", 1595
1) De quelles coutumes ces textes font-ils l'évocation ? Comment ces coutumes sont-elles décrites ?
Ces textes évoquent la pratique du cannibalisme. Mais aucun des deux auteurs n’insiste explicitement dessus dans ces extraits, ils en disent seulement que ce sont des pratiques différentes, surprenantes en apparence pour leurs contemporains européens.
2) Ces deux auteurs portent-ils pour autant un regard critique sur les Indiens ayant ces pratiques ? Expliquez pourquoi.
Non, bien au contraire : Léry les compare aux Européens qui sont « encore plus cruels que les sauvages dont je parle ». Montaigne va plus loin et utilise la négation : « il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation ». Une fois encore, il les associe à des termes mélioratifs qui abondent dans le texte.
3) En quels termes évoquent-ils les Européens ?
Tous les deux comparent les Amérindiens à des pratiques européennes. Montaigne conclut de cette comparaison que ce sont plutôt les Européens qui avilissent les Amérindiens, et que le fait qu’ils soient moins civilisés fait d’eux des êtres plus vertueux (vous reconnaissez le fondement du mythe du bon sauvage, de la séance précédente). Jean de Léry va plus loin : il énumère des faits historiques ou des pratiques qui s’apparentent au cannibalisme, et qui sont pratiquées en Europe : les usuriers, le massacre de la Saint-Barthélémy… Il exprime sans détours que sous le couvert de la religion, des actes similaires ont été pratiqués et que nous n’avons aucun droit de juger les Amérindiens sur ce point dont nous sommes tout aussi coupables. Il donne même une quantité de détails sanglants qui révolteront le lecteur. En comparaison, les « Sauvages » semblent donc excusables. Il illustre ainsi la formule de Montaigne :
« chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »
Il faut donc adopter un autre point de vue et prendre du recul avant de prétendre juger.
- Lisez maintenant le texte de Jean de LA BRUYERE, Les Caractères, "De la Cour", p.160.
4) En quoi la description qu'il fait de ces personnes est-elle construite pour rappeler les Indiens d'Amérique et des coutumes impies ?
La Bruyère est comme toujours très fin dans son écriture : il ne nomme jamais le pays dont il parle, mais utilise tous les procédés qui donnent le sentiment qu’il est fort loin et mal connu de lui :
- par les modalisateurs tels que « ce peuple paraît adorer », « ils semblent avoir tout l’esprit », « l’on parle d’une région où »…
- par la distanciation : « ceux qui habitent cette contrée », « ces peuples », « chez eux », « qu’ils nomment », « les femmes du pays » « des mystères qu’ils appellent », « leur Dieu et leur roi »…
- il utilise les expressions que l’on trouve dans les récits d’explorateurs, par leur caractère anthropologique : « cet usage », « étrangers », « une espèce de », « leur coutume est de », « physionomie »…
- les points qu’il évoque sont assez vagues pour permettre à l’imagination de penser qu’ils s’appliquent justement à des peuples du Nouveau monde, et il les énumère comme s’ils étaient surprenants : les relations sociales, les tenues vestimentaires, les coiffures, la hiérarchie, les bâtiments, la religion… Il remplace le nom du roi par une triple astérisque, et il achève le texte par le nom de deux tribus amérindiennes : les Iroquois et les Hurons.
- Ces évocations sont formulées de manière à paraître ridicules, ou du moins négatives au lecteur français, grâce à des termes connotés et porteurs de jugements de valeur : « sans mœurs ni politesse », « amours ridicules », « goûts déjà éteints », « précipitent le déclin de leur beauté », « qu’elles croient servir à les rendre belles » (allusions aux peintures et tatouages tribaux en usage chez certains peuples d’Amérique), « pas nette mais confuse, embarrassée » « cheveux étrangers qu’ils préfèrent aux naturels » (LB s’amuse en faisant allusion à la coutume des scalps) . Ils sont même dépeints comme impies, car dans les lieux saints, ils « tournent le dos directement au prêtre et aux saints mystères », leur préférant le roi… Le lecteur est donc convaincu qu’il est en train de lire une description d’un peuple de sauvages ridicules du Nouveau Monde.
5) En quoi la fin de ce texte illustre-t-elle la formule "in cauda venenum" ? (rappel : voir dans le cours du semestre 1, à la séance 4). Quelle est donc la visée de La Bruyère avec ce portrait-charge ?
Le venin est dans la chute, et LB est fidèle à lui-même : la dernière phrase, tout en restant implicite, balaye ce que le lecteur imaginait en apportant des indications géographiques qui empêchent de situer ce peuple en Amérique. Ainsi, le lecteur, par « triangulation », comprend enfin que le peuple en question était la cour du Roi de France. Il est donc invité à relire le texte pour en comprendre le véritable sens là où son imagination avait superposé des images exotiques.
L’habileté vient de ce que tout au long du texte le lecteur a souri du ridicule de ce peuple et de son immoralité : il est donc très brutalement confronté à son propre reflet et réalise qu’il se moquait de lui-même. La visée de LB est sans aucun doute d’inviter le courtisan à reconsidérer son attitude et à se corriger.
Et vous, êtes-vous tombés dans le piège ? A quel moment avez-vous compris ?
Exercice d’écriture (facultatif) :
A la manière de La Bruyère, décrivez vous aussi notre société de manière indirecte, en insistant sur ses points négatifs. Votre texte pourra commencer par « J’ai entendu parler d’une région où… »