Correction Séance 5 - la découverte de l’autre : le mythe du bon sauvage
Nouveau monde, nouveaux peuples, nouvelles cultures.
Le mythe du bon sauvage
Le Débat nature / culture
- Une impression d'étrangeté face à un monde inconnu
texte 1 : Vespucci, le « Nouveau monde », 3e voyage, 1501-1502
Dans son texte, il décrit ce nouveau peuple par la négative, c'est-à-dire qu'il utilise pour le lecteur européen des repères que ce dernier pourra comprendre. Vous y trouvez toutes les formes de négation (lexicale, grammaticale, restrictive, totale, partielle...) En effet, il y a tellement peu de valeurs communes que c'est difficile d'imaginer leur société.
Il se montre extrêmement valorisant pour ce peuple, à l'exception du cannibalisme. Le lecteur européen imagine une sorte de paradis, grâce aux nombreux termes mélioratifs. La description est très poussée et se veut réaliste, il envisage tous les aspects de leur existence.
- découverte de l’inconnu, alliances commerciales
- Texte 2 : Louis-Antoine de BOUGAINVILLE, Voyage autour du monde, 1771
Cette première rencontre semble se dérouler de façon positive; les Tahitiens semblent généreux, ouverts d'esprit, accueillants - mais néanmoins encore un peu méfiants. Les nombreux cadeaux et denrées qu'ils apportent suggèrent encore une fois un monde d'abondance et de richesses.
Les échanges commerciaux ne semblent pas très équitables - mais chaque peuple considère les denrées selon ce qu'elles représentent à leurs yeux et leur rareté.
Bilan : Toutes ces expéditions ont un but scientifique, il s'agit d'accroître la connaissance de ces nouveaux mondes. Néanmoins, le financement des voyages impose une certaine rentabilité. Car les explorateurs partent en général à la demande de la couronne (de France, d'Espagne, du Portugal, d'Angleterre...).
Ces nouveaux mondes sont décrits comme des lieux où les richesses sont nombreuses et diverses (métaux, épices...) et offrant des opportunités pour les navigateurs devant se ravitailler (notamment en fruits, pour la vitamine C nécessaire afin de ne pas être atteint de scorbut). Il s'agit également d'établir des villes-comptoirs, pour renforcer la puissance commerciale et maritime du pays finançant l'expédition.
consultez la synthèse sur l’exploration du XVè au XVIIIè siècle : manuel de français, pp.498-499 / 502-503.
- Qui est le vrai barbare ?
MONTAIGNE, Les Essais, « Des Coches »
ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes
Question à traiter : Quel nouveau regard ces extraits donnent-ils sur les « sauvages » ?
- MONTAIGNE, Les Essais, « Des Coches » :
Ce texte vous a posé problème apparemment. Nous allons donc revenir dessus plus en détail.
Tout le début du texte est construit sur une métaphore filée : ce nouveau monde est évoqué comme un jeune enfant, qui n'est qu'au début de son existence et qui a une longue vie devant lui - d'après Montaigne, il survivra même à l'Europe.
Mais ce n'est que très rapidement qu'il énumère tout ce qu'ils n'ont pas :
"ni lettres, ni poids, ni mesure, ni vêtements, ni blés, ni vignes"
Comme dans les textes précédents, Montaigne souligne les richesses, l'abondance que l'on rencontre là-bas. Attention, Montaigne n'est pas un explorateur comme Vespucci ou Bougainville, il n'est jamais allé en Amérique et se fonde sur les récits de voyage ainsi que sur les Indiens qu'il a pu rencontrer à Paris, car certains avaient été conduits en Europe et même présentés au Roi de France. Cette vision utopique est donc influencée.
Vous avez repéré bien sûr les accumulations ("leurs ouvrages, en pierrerie, en plume, en coton, en la peinture" par exemple) et les nombreux termes valorisants ("magnificence", "excellemment", "beauté"...).
Mais surtout, il leur attribue des vertus, une grande valeur morale (un champ lexical fortement présent), en les comparant aux Européens :
"Mais quant à la dévotion, observance des lois, bonté, libéralité, loyauté, franchise, il nous a bien servi de n'en avoir pas tant qu'eux ; ils se sont perdus par cet avantage, et vendus, et trahis eux-mêmes.
Quant à la hardiesse et courage, quant à la fermeté, constance, résolution contre les douleurs et la faim, et la mort, je ne craindrais pas d'opposer les exemples que je trouverais parmi eux aux plus fameux exemples anciens que nous ayons aux mémoires de notre monde par-deçà. "
Je reformule : "parce qu'ils ont tant de vertu, nous Européens (qui en avons bien moins) avons pu prendre le dessus et soumettre leur peuple. Leur valeur est comparable à celle des anciens héros de notre histoire et de nos légendes d'Europe."
On pourrait croire que Montaigne se réjouit que les Européens aient conquis ces peuples. Mais toute la fin du texte explique au contraire que si l'Europe a "vaincu", ce n'est pas parce que les Indiens sont moins valeureux, mais parce que technologiquement nous avions un avantage considérable (la "peau luisante et dure", c'est-à-dire les armures; les "grands monstres inconnus", les chevaux; les "foudres et tonnerres de nos pièces et arquebuses" : les armes à feu). Face à eux, une "armée" "sans autres armes pour le plus que d'arcs, pierres, bâtons et boucliers de bois", mais surtout venant en toute amitié à la rencontre des conquistadors. Le combat était donc joué d'avance. Car
"ôtez, dis-je, aux conquérants cette disparité, vous leur ôtez toute l'occasion de tant de victoires."
A travers cette longue comparaison, le message de Montaigne est clair : ces Indiens d'Amérique valent plus que nous, nous avons vaincu par traitrise en quelque sorte. Ils sont les "gentils" et nous les "méchants", si l'on pouvait résumer cette comparaison à une vision manichéenne (c'est-à-dire binaire, tout blanc ou tout noir, sans demi-teintes).
- ROUSSEAU, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
Ce texte est bien plus récent : Rousseau écrit en plein milieu du siècle des Lumières. Il généralise son propos à toute l'Humanité. Son premier paragraphe s'articule en deux temps :
"Tant que les hommes se contentèrent de..." / "mais dès l'instant qu'un homme eut besoin"...
Avez-vous remarqué que ce 1er paragraphe est constitué d'une unique phrase ? Il oppose deux époques, deux états de la société, et donc deux valeurs différentes.
Dans le premier état, "ils vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature".
Dans le deuxième état, "l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, [...] on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons".
Concrètement donc, il y a un avant idyllique et un après misérable.
L'étude des champs lexicaux révèle que c'est la culture, au sens de civilisation qui a littéralement corrompu l'être humain.
La brève référence aux Indiens d'Amérique les classe sans conteste dans les peuples qui sont encore à l'état de nature, et donc encore heureux. L'Europe est quant à elle à l'opposé, "mieux policée que les autres parties du monde". Le superlatif ne signifie pas pour autant que Rousseau les pense supérieurs.
Bilan : Ces deux textes se rejoignent sur un point : les valeurs positives, la vertu, le bonheur et la liberté sont associés aux "sauvages" alors que la "vieille Europe" est associée à des valeurs corrompues. C'est un débat qui au siècle des Lumières fait polémique, le débat nature / culture. Après Rousseau, on parlera du "mythe du bon sauvage", mais vous voyez que cette vision est déjà bien présente dès la Renaissance.
Finalement, la découverte des nouveaux peuples et leur description est l'occasion pour les auteurs européens de remettre en question la place de l'homme et l'évolution de la civilisation européenne.
Pour aller plus loin : vous pouvez lire "La Controverse de Valladolid" de JC CARRIERE, ou plus simplement voir son adaptation cinématographique.