Milhaud - Enseignement de spécialité - HLP - Littérature

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Correction de la Séance 11 : Quel statut pour l'homme par rapport à l'animal ?

Séance 11 : L’homme et l’animal : quelle place l’homme s’attribue-t-il au sein des espèces ? Quel est le statut de l’animal ?

 

 

 

CORRECTION :

 

 

L’homme est-il un animal comme les autres ?

 

En s’appuyant sur les préceptes religieux, l’homme grandit dans la pensée qu’il est une créature supérieure aux autres espèces, et immédiatement en-dessous des créatures divines. (voir la gravure étudiée dans la séance 10).

 

Pourtant ce rapport à l’animal est souvent questionné.

 

 

 

  • Texte 1 : René DESCARTES, Discours de la méthode, partie V, 1637 :

 

DESCARTES défend la thèse selon laquelle on peut fabriquer un automate (un « robot ») semblable à un animal et ne pas voir de différence, alors que pour l’être humain un automate ne serait pas convaincant.

 

Or, par ces deux mêmes moyens, on peut aussi connaître la différence qui est entre les hommes et les bêtes. Car c'est une chose bien remarquable, qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ; et qu'au contraire il n'y a point d'autre animal tant parfait et tant heureusement né qu'il puisse être, qui fasse le semblable. Ce qui n'arrive pas de ce qu'ils ont faute d'organes, car on voit que les pies et les perroquets peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous, c'est-à-dire, en témoignant qu'ils pensent ce qu'ils disent ; au lieu que les hommes qui, étant nés sourds et muets, sont privés des organes qui servent aux autres pour parler, autant ou plus que les bêtes, ont coutume d'inventer d'eux-mêmes quelques signes, par lesquels ils se font entendre à ceux qui, étant ordinairement avec eux, ont loisir d'apprendre leur langue. Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout. (…) Et on ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements naturels, qui témoignent des passions, et peuvent être imités par des machines aussi bien que par les animaux; ni penser, comme quelques anciens, que les bêtes parlent, bien que nous n'entendions pas leur langage; car s'il était vrai, puisqu'elles ont plusieurs organes qui se rapportent aux nôtres, elles pourraient aussi bien se faire entendre à nous qu'à leurs semblables.

 

 

 

  1.  De quelle façon Descartes soutient-il l’idée que l’animal est une créature douée mais limitée dans ses capacités ?

 

Il reconnaît certaines capacités à l’animal, ou du moins à  certains animaux qui peuvent ainsi prétendre s’approcher un peu des humains ; il fait ici allusion à la parole. On observe plusieurs hyperboles (« tant parfait et heureusement né », en jaune, articulée autour de termes mélioratifs). Il évoque même la théorie des anciens selon laquelle les animaux auraient bien un langage, mais que l’homme est incapable de comprendre. Mais il rejette cette théorie. C’est particulièrement visible grâce à l’opposition dans le parallélisme : « peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous ». Il distingue donc la parole de la simple émission de sons formant des mots, au nom de la pensée.

Son raisonnement est présenté de façon progressive, afin d’accentuer les manques de l’animal : « ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout ». Il passe ainsi d’un comparatif d’infériorité à une négation totale. De même, il leur reconnaît la capacité à exprimer des « mouvements naturels, qui témoignent des passions », pour ensuite admettre que c’est à la portée des machines-mêmes. L’animal a donc les capacités physiques, mais pas intellectuelles, toujours selon Descartes.

 

 

 

  1. Comment illustre-t-il son admiration pour l’être humain ?

 

Cette admiration pour l’être humain s’illustre par les nombreuses comparaisons qu’il donne (en bleu dans le texte). En effet, à plusieurs reprises ces comparaisons sont à l’avantage des humains. Il va même jusqu’à mettre en comparaison ce qui serait le plus bas dans l’espèce humaine (grâce aux hyperboles, « si hébétés et si stupides », « insensés », mais aussi ceux qui souffrent d’un handicap, « nés sourds et muets, sont privés des organes » en vert foncé dans le texte) avec ce qui serait au sommet des espèces animales. Pour simplifier, le plus démuni des hommes reste plus doué que le plus doué des animaux.

Cet avantage se résume selon lui au langage, qui est bien plus que le simple fait de prononcer des paroles car il témoigne d’une pensée. C’est aussi la capacité de remédier à certains obstacles tels que le fait d’être né sourd et muet : l’être humain, capable de s’adapter, invente de nouvelles façons de se faire entendre et comprendre.

 

 

 

  1. Sa thèse vous semble-t-elle fondée sur un sentiment ou sur une réflexion ?

 

Sa thèse s’appuie sur une réflexion, et elle s’apparente au genre de l’essai. En effet, il utilise la 1ère personne du pluriel, il s’appuie également sur des références (« quelques anciens ») qu’il cite ; surtout, le texte abonde en connecteurs logiques (en rose) qui lui permettent d’organiser son argumentation.

Il présente donc sa thèse comme étant le fruit de la logique et d’une réflexion bien menée. Il n’hésite pas à construire ses arguments sur des contre-arguments, pour montrer qu’il a également envisagé et invalidé les réfutations possibles.

 


 

  • Texte 2 : Michel de MONTAIGNE, les Essais, 1595 (manuel de 1ère, p.514).

 

 

  1. Lisez le premier paragraphe (l.1 à 15). Montaigne vous semble-t-il partager l’opinion de Descartes sur le statut de l’être humain ? Justifiez votre réponse.

 

Dans ce passage, l’être humain n’est nullement associé à des termes mélioratifs, bien au contraire. Il accumule les reproches : « présomption », « maladie », « orgueilleuse », « vanité »… et utilise des termes du champ lexical de la bassesse : « calamiteuse », « frêle », « la bourbe et le fient », « pire », « morte et croupie », « pire condition ». Les superlatifs renforcent cette opinion : « dernier étage », « le plus éloigné de le voûte céleste »…

Il partage son texte en deux temps : après avoir montré la bassesse de l’humain, il souligne la contradiction dans son comportement qui lui fait croire qu’il est supérieur. Les oppositions ici sont éloquentes.

Enfin, il soulève un certain nombre de questions – purement rhétoriques (« comment connaît-il », « par quelle comparaison », « qui sait si » )- qui soulignent l’étendue de son ignorance. La phrase finale, par son parallélisme, invite à changer de point de vue : qui s’amuse de qui ?

 

 

 

  1. Quel est le registre littéraire dominant dans cet extrait ? Qu’est-ce que cela traduit selon vous ?

 

Le registre dominant est donc polémique, au vu de la véhémence des propos qu’il tient contre l’être humain. Cela traduit une certaine accusation, une remise en question des préjugés plaçant l’homme au sommet de la création. Montaigne montre sa piètre opinion de l’espèce humaine, mais surtout suggère que nous n’avons aucun droit sur le monde et les espèces dont nous nous servons sans scrupule.

 


 

  • Texte 3 : Jean ROSTAND, Pensées d’un biologiste, 1954

 

Jean Rostand, fils d’Edmond Rostand (auteur de Cyrano de Bergerac) est un biologiste qui a fait connaître la génétique. Savant humaniste, il propose une réflexion sur les relations entre l’homme et le monde.

 

 

Mais, laissant au moraliste le soin de peser les douleurs et les satisfactions individuelles, demandons-nous ce que l’homme, en tant que membre de l’espèce, peut penser de lui-même et de son labeur.

Certes, à se souvenir de ses origines, il a bien sujet de se considérer avec complaisance. Ce petit-fils de poisson, cet arrière-neveu de limace, a droit à quelque orgueil de parvenu. Jusqu’où n’ira-t-il pas dans sa maîtrise des forces matérielles ? Quel secret ne dérobera-t-il pas à la nature ? Demain, il libérera l’énergie intra-atomique, il voyagera dans les espaces interplanétaires, il prolongera la durée de sa propre vie, il combattra la plupart des maux qui l’assaillent, et même ceux que créent ses propres passions, en instaurant un ordre meilleur dans ses collectivités.

Sa réussite a de quoi lui tourner un peu la tête. Mais, pour se dégriser aussitôt, qu’il situe son royaume dérisoire parmi les astres sans nombre que lui révèlent ses télescopes : comment se prendrait-il encore au sérieux, sous quelque aspect qu’il s’envisage, une fois qu’il a jeté le regard dans les gouffres glacés où se hâtent les nébuleuses spirales !

 

 

 

  1. Ce texte, bien plus récent, vous semble-t-il plus proche de celui de DESCARTES ou de celui de MONTAIGNE ? Justifiez votre réponse. Quel ton adopte-t-il ? Quelle place attribue-t-il à l’homme par rapport à l’animal ?

 

Jean Rostand évoque les succès de l’être humain, et les exploits qui l’attendent en se projetant dans l’avenir, avec des termes particulièrement mélioratifs (en vert). Il suggère même que ces exploits sont d’autant plus admirables que l’homme tient ses origines de créatures qu’il considère comme méprisables, « poisson », « limace ». Les questions rhétoriques (en jaune) sont là pour laisser entendre que l’homme n’a pas de limite et qu’il est véritablement supérieur.

 

Pourtant certains termes nous interpellent par la dérision qu’ils suggèrent : « Ce petit-fils de poisson, cet arrière-neveu de limace », semble rappeler que nous n’avons que peu évolué au fond et rappelle notre parenté avec l’animal. D’autres termes sont équivoques : « orgueil de parvenu », « se dégriser », « son royaume dérisoire », « se prendrait-il encore au sérieux »… (en turquoise). Le lecteur est amené à penser que ces exploits ne sont pas si glorieux que cela.

 

Enfin, les indications ramenant l’homme à son échelle, c’est-à-dire montrant à quel point il est dérisoire, se font de plus en plus nombreuses : au début, l’individu est à jauger comme « membre de l’espèce » ; puis confronté à « la nature » et enfin, à l’infiniment grand : « les astres sans nombre que lui révèlent ses télescopes », « les gouffres glacés où se hâtent les nébuleuses spirales »… (en bleu foncé).

 

Pour conclure, le ton qu’il adopte se révèle assez méprisant à l’égard de l’être humain qui se juge supérieur alors qu’à l’échelle de l’univers il n’est rien. Il est donc bien plus proche du texte de MONTAIGNE, qui déplore comme lui la vanité de l’être humain.


 

A retenir :

 

  • L'homme tente de comprendre ce qui le distingue de l'animal.
  • Les textes fondateurs l'ont élevé dans la croyance qu'il est supérieur aux autres créatures terrestres et qu'il a le droit de les juger et de les diriger.
  • De nombreux penseurs et scientifiques s'intéressent notamment à la question du langage et de la pensée.
  • Mais il reste de nombreuses inconnues : si on change de point de vue, l'animal ne pense-t-il pas de l'homme la même chose ?
  • Les réflexions induites par les découvertes scientifiques amènent à repenser la place de  l'homme : il ne serait plus qu'une des étapes de l'évolution des espèces, enlevant l'idée de supériorité. De même, l'exploration du ciel révèle l'immensité de l'univers, et la petitesse de l'être humain.
  • Les auteurs s'interrogent donc sur la légitimité de ce sentiment de supériorité. L'homme n'est qu'une créature parmi d'autres et n'a pas davantage de droits.

 

Il n'est pas surprenant que certains de ces auteurs soient devenus végétariens avant l'heure, tels que Léonard de Vinci, Michel de Montaigne ou Jean-Jacques Rousseau...

 

 

Mais ce débat autour de ce qui différencie l'homme de l'animal prend une ampleur particulière au XVIIème siècle, sous la forme de la querelle de l'animal-machine : à découvrir dans la séance 12.


 

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25/05/2025
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