Séance 11 : l'émotion au service de l'idée: les registres lyrique et pathétique
Séance 11 : l'émotion au service des idées - registre lyrique, registre pathétique.
- Pour commencer, un peu de vocabulaire :
cherchez l'étymologie du verbe émouvoir. Comment comprendre ce mot, littéralement ?
- La parole au service des sentiments amoureux :
Lisez les quatre poèmes ci-dessous :
SAPPHO, Odes (650 – 580 avt JC)
Il est pareil aux dieux, l’homme qui te regarde,
Sans craindre ton sourire, et tes yeux, et ta voix,
Moi, je tremble et je sue et ma face est hagarde
Et mon cœur aux abois…
La Chaleur et le froid tour à tour m’envahissent ;
Je ne résiste pas au délire trop fort ;
Et ma gorge s’étrangle et mes genoux fléchissent,
Je deviens plus verte que l’herbe
Et je connais la mort…
Mais quand on n'a plus rien, il faut tout hasarder [...]
Bernard de VENTADOUR (1135-1194)
Chanter ne peut guère valoir,
Si le chant ne part du cœur même,
Et chant ne peut du cœur partir
Si n’y est fine amour profonde…
Point n’est merveille si je chante
Mieux que tous les autres chanteurs,
Car plus va mon cœur vers amour…
Corps et cœur et savoir et sens
Et force et pouvoir j’y ai mis.
Par bonne foi, sans tromperie,
J’aime la meilleure, la plus belle ;
Du cœur soupire et des yeux pleure,
Car trop l’aime et j’en ai dommage.
Qu’y puis-je, alors qu’Amour me prend ?
En telle prison elle m’a mis
Que n’ouvre autre clef que merci,
Et de merci point je ne trouve.
Quand je la vois, de peur je tremble
Comme la feuille sous le vent.
N’ai de sens pas plus qu’un enfant,
Tant je suis d’amour entrepris,
Et d’homme qu’est ainsi conquis
Peut avoir dame grand pitié !
Joachim Du Bellay, Les Regrets, 1556, Sonnet 91
O beaux cheveux d'argent mignonnement retors !
O front crêpe et serein ! et vous face dorée !
O beaux yeux de cristal ! ô grand'bouche honorée,
Qui d'un large repli retrousses tes deux bords !
O belles dents d'ébène ! ô précieux trésors,
Qui faites d'un seul ris toute âme énamourée !
O gorge damasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, dignes d'un si beau corps !
O beaux ongles dorés ! ô main courte, et grassette !
O cuisse délicate ! et vous jambe grossette,
Et ce que je ne puis honnêtement nommer !
O beau corps transparent ! ô beaux membres de glace !
O divines beauté ! pardonnez-moi, de grâce,
Si, pour être mortel, je ne vous ose aimer.
Louise LABE, Sonnet n°8 (1524-1566)
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Comparer les quatre poèmes : quels sont leurs points communs ?
Quel est l'effet produit sur le lecteur ?
Comment les poètes expriment-ils l'intensité de leurs sentiments ?
Quelle image donnent-ils de la femme aimée ?
Cherchez dans votre manuel de français (ou ailleurs) ce que sont :
- le pétrarquisme, la fin’amor, l’amour courtois (p.612);
- les formes de la poésie amoureuse : ode, épigramme, lai, hymne, élégie, ballade, madrigal.
synthèse : A quoi reconnaît-on le registre lyrique ? (voir aussi p.596)
- le lyrisme pour dire la souffrance et les malheurs :
Lisez ensuite les textes ci-dessous :
OVIDE, Les Métamorphoses, « Procné et Philomèle » (Ier siècle)
A la demande de son épouse Procné, fille du roi d’Athènes, Térée roi de Thrace revient à Athènes pour chercher sa sœur Philomèle (à la belle voix).
[…] Et le barbare exulte. Il a peine à différer son plaisir :
L'ardeur de son regard, à aucun moment ne se détourne d'elle...
Pareil à l'oiseau de Jupiter, le rapace aux serres crochues
qui dépose un lièvre tout en hauteur, dans son nid,
de sorte qu'il n'y ait plus pour le malheureux aucune possibilité de fuite,
Térée, le prédateur, surveille sa proie.
A peine la traversée est-elle terminée,
A peine l'équipage a-t-il tiré les bateaux fatigués sur le rivage
que le roi tire la fille de Pandion dans les profondeurs d'une bergerie cachée
au coeur d'une forêt touffue.
Et c'est là qu'elle est enfermée, pâle, tremblante, terrorisée.
Elle éclate en sanglots et demande où est sa sœur.
C'est alors qu'il lui avoue son intention criminelle et la soumet par la force.
Philomèle, vierge et seule, ne cesse d'appeler à son secours son père, sa sœur et plus que tous les autres les dieux souverains.
Elle tremble comme une agnelle craintive, tombée blessée de la gueule d'un loup, qui a l'impression qu'elle n'est pas encore sauvée,
ou comme une colombe aux plumes rougies de son propre sang, terrifiée,
qui redoute encore les serres avides entre lesquelles elle était emprisonnée.
Bientôt, quand elle reprend ses esprits, elle arrache ses cheveux qui s'étaient détachés,
elle se frappe les bras, à la manière d'une femme qui pleure ses morts et tendant ses mains, elle l'apostrophe :
« Toi, barbare, ô cruel, coupable d'actes sauvages,
rien, ni dans la confiance que mon père a mise en toi, ni les larmes qu'il a versées, gage de son affection, ni le respect que tu dois à ma sœur, ni ma virginité, ni mes droits à une union conforme à la loi, rien ne t'a touché ?
Tu as transgressé toutes les règles, tu m'as fait devenir la rivale de ma sœur.
Toi, l'époux de deux femmes, à moi tu réserves le châtiment que l'on inflige aux ennemis !
Pourquoi, afin qu'il ne te reste, à toi, perfide, plus rien de monstrueux à accomplir, pourquoi ne m'arraches-tu pas la vie ?
Tu aurais dû le faire avant cet accouplement abominable. J'aurais ainsi épargné ce crime à mon ombre.
Mais si les dieux voient ce qui s'est passé
Si leur autorité a encore un sens
Si tout n'a pas péri avec moi, alors tu devras un jour me rendre justice !
Si l'on m'en donne la possibilité, j'irai devant le peuple
Si on me retient par la force dans la forêt, la forêt se fera l'écho de mes cris.
J'attendrirai mes confidents : le rocher, le ciel et les dieux, s'il y en a pur l'habiter, entendront mes plaintes. »
De tels propos eurent pour effet de provoquer la colère du cruel tyran.
Il était également mû par la peur. Il libéra l'épée du fourreau qu'il portait à la ceinture et saisissant Philomèle par les cheveux, il la contraignit à supporter les liens qui lui maintenaient les bras derrière le dos.
Elle tendit son cou vers l'épée.
Depuis qu'elle l'avait vue, elle espérait que sa dernière heure était arrivée !
Comme dans son indignation elle continuait à parler et à se lamenter,
criant le nom de son père,
il lui maintint la langue avec une pince
et d'un coup d'épée brusque et précis
la lui trancha.
Elle tombe, sur la terre sanglante et murmure, frémissante,
De même que sursaute la queue d'une couleuvre coupée en tronçons qui palpite,
Mutilée et mourante recherche, l'ensemble du corps dont elle faisait partie.
On raconte, mais à peine puis-je le croire, que même après ce crime,
Térée a continué à abuser, poussé par des pulsions destructrices,
du corps qu'il avait mutilé.
Après une telle forfaiture, Térée, se permet de revenir vers Procné.
A sa vue, celle-ci lui demande des nouvelles de sa sœur et lui de verser de fausses larmes et de raconter la mort de Philomèle...
Ses larmes lui inspirant la confiance,
Procné revêt ses habits de deuil et fait dresser un cénotaphe...
Clément MAROT, L’Adolescence clémentine, 1532
Si j'ai du mal, malgré moi je le porte,
Et s'ainsi est qu'aucun me réconforte,
Son réconfort ma douleur point n'apaise :
Voilà comment je languis en malaise,
Sans nul espoir de liesse plus forte.
Et faut qu'ennui jamais de moi ne sorte,
Car mon état fut fait de telle sorte,
Dès que fus né. Pourtant ne vous déplaise,
Si j'ai du mal.
Quand je mourrai, ma douleur sera morte :
Mais cependant mon pauvre cœur supporte
Mes tristes jours en fortune mauvaise.
Dont force m'est que mon ennui me plaise,
Et ne faut plus que je me déconforte,
Si j'ai du mal.
Pierre de RONSARD, Derniers vers (posthume), 1586
Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ;
Adieu, plaisant Soleil, mon oeil est étoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant la face,
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vais le premier vous préparer la place.
Bernard de VENTADOUR :
Quand vois l'alouette mouvoir
De joie en plein soleil ses ailes,
S'oublier et se laisser choir
Par la douceur qu'au coeur lui va,
Hélas ! Quel désir me saisit
De celle que je voudrais voir !...
Hélas ! Tant je croyais savoir
D'amour, et si peu j'en connais !...
Si à ma Dame plus ne plaît
Que je l'aime, point ne lui dirai...
Et m'en vais, - plus ne me retient, -
Triste en exil, je ne sais où.
Identifiez les procédés communs aux textes. Quel est l’objectif recherché par chacun des trois ?
En quoi peut-on dire que le ton adopté leur permet d'atteindre plus facilement leur objectif ?
synthèse : En quoi la parole lyrique est-elle un outil puissant et efficace ?
Selon ARISTOTE, les trois piliers de la rhétorique sont l'Ethos, le Logos et le Pathos.
Un bon orateur aura recours aux trois dans un même discours, de façon équilibrée.
- l'Ethos représente les valeurs morales de l'orateur, son éthique. C'est ce qui permet de lui conférer une certaine crédibilité, qui cautionne ses propos et le montre comme légitime pour défendre ses idées.
- Le Logos incarne la maîtrise de la parole, l'usage de la raison (la logique) : c'est l'ensemble des moyens permettant de convaincre par les arguments.
- Le Pathos désigne le recours aux sentiments pour persuader l'auditoire, c'est l'ensemble des moyens suscitant notamment l'empathie, l'identification... et qui font appel à la sensibilité du destinataire.