Séance 5 : Qui est le vrai barbare ?
Séance 5 : la découverte de l’autre – le mythe du bon sauvage
Nouveau monde, nouveaux peuples, nouvelles cultures.
Le mythe du bon sauvage
Débat nature / culture
* Rappel : je vous invite à consulter les deux synthèses sur l’exploration du XVè au XVIIIè siècle dans votre manuel de français pp.498-499 / 502-503.
Les explorateurs et navigateurs n'ont pas uniquement découvert de nouveaux territoires : ils ont aussi fait la connaissance de peuples inconnus et très différents des Européens. Les récits de ces rencontres, leurs descriptions, leurs coutumes, fascinent l'Europe. Parmi eux, Jean de LERY, Charles Marie de la CONDAMINE, Louis Antoine de BOUGAINVILLE ou encore, parmi les premiers, Amerigo VESPUCCI.
- Amerigo VESPUCCI, Le Nouveau monde, 3ème voyage, 1501-1502.
Il s'agit de la suite de l'extrait de la séance 4.
Quelle image donne-t-il de ces sauvages ?
De quelle façon s'y prend-il pour décrire ce nouveau peuple aux lecteurs d'Europe ?
Lisez maintenant l'extrait qui le suivait :
- Louis-Antoine de BOUGAINVILLE, Voyage autour du monde, 1771
(1729-1811)
Il est le 1er navigateur français à effectuer le tour du monde, à la demande de Louis XV. Le but du voyage, entrepris en 1776, est à la fois honorifique (découvrir de nouvelles contrées) et scientifique : de nombreux savants l’accompagnent sur son navire. Son journal de voyage devient un formidable témoignage, notamment de la société tahitienne.
Quelle image de Tahiti et des Tahitiens construit-il ?
Les échanges commerciaux qu'il raconte vous semblent-ils équitables ? Qui semble se montrer méfiant ?
- Qui est le vrai barbare ?
MONTAIGNE, Les Essais, « Des Coches », 1595
Michel de MONTAIGNE, inventeur du genre de l'essai, s'intéresse particulièrement à la découverte de ces nouveaux peuples, et à la manière dont ils obligent à remettre en question toutes les idées reçues. Il invite le lecteur à réfléchir aux rapports de forces opposant les "sauvages" aux Européens.
Quel nouveau regard cet extrait donne-t-il sur les « sauvages » ?
- Pour aller plus loin :
ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, 1755
Le philosophe des Lumières s'interroge sur ce qui a "perverti" l'être humain qui était selon lui naturellement bon à l'origine. Il s'appuie sur l'image du sauvage pour décrire une forme de bonheur, que la civilisation a définitivement rendu impossible.
C'est le grand débat autour du mythe du "bon sauvage", pour lequel Rousseau sera beaucoup caricaturé.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)
Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique ; en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.
La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre humain ; aussi l’un et l’autre étaient-ils inconnus aux sauvages de l’Amérique qui pour cela sont toujours demeurés tels ; les autres peuples semblent même être restés barbares tant qu’ils ont pratiqué l’un de ces arts sans l’autre ; et l’une des meilleures raisons peut-être pourquoi l’Europe a été, sinon plus tôt, du moins plus constamment, et mieux policée que les autres parties du monde, c’est qu’elle est à la fois la plus abondante en fer et la plus fertile en blé. |
Ce texte est bien plus récent : Rousseau écrit en plein milieu du siècle des Lumières. Il généralise son propos à toute l'Humanité. Son premier paragraphe s'articule en deux temps :
"Tant que les hommes se contentèrent de..." / "mais dès l'instant qu'un homme eut besoin"...
Avez-vous remarqué que ce 1er paragraphe est constitué d'une unique phrase ? Il oppose deux époques, deux états de la société, et donc deux valeurs différentes.
Dans le premier état, "ils vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature".
Dans le deuxième état, "l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, [...] onvit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons".
Concrètement donc, il y a un avant idyllique et un après misérable.
L'étude des champs lexicaux révèle que c'est la culture, au sens de civilisation qui a littéralement corrompu l'être humain.
La brève référence aux Indiens d'Amérique les classe sans conteste dans les peuples qui sont encore à l'état de nature, et donc encore heureux. L'Europe est quant à elle à l'opposé, "mieux policée que les autres parties du monde". Le superlatif ne signifie pas pour autant que Rousseau les pense supérieurs.
Bilan : Ces textes se rejoignent sur un point : les valeurs positives, la vertu, le bonheur et la liberté sont associés aux "sauvages" alors que la "vieille Europe" est associée à des valeurs corrompues. C'est un débat qui au siècle des Lumières fait polémique, le débat nature / culture. Après Rousseau, on parlera du "mythe du bon sauvage", mais vous voyez que cette vision est déjà bien présente dès la Renaissance.
Finalement, la découverte des nouveaux peuples et leur description est l'occasion pour les auteurs européens de remettre en question la place de l'homme et l'évolution de la civilisation européenne.
🧡 Pour aller plus loin : vous pouvez lire "La Controverse de Valladolid" de JC CARRIERE, ou plus simplement voir son adaptation cinématographique.